Le Cinéma et l'Enfant

Cet article est écrit par Charles et Gilles DAUTRICOURT consultable sur Mémoire Blog AlloCiné.

Article écrit par Charles DAUTRICOURT et paru dans la revue MASQUES en Novembre 1946 rendant hommage à mesdames Sonika BO et Lahy Hollebecque, pionnières dans l'introduction en France du Cinéma pour les jeunes.

C'est suite à cet article que Charles DAUTRICOURT a fondé le Comité Français du Cinéma pour la Jeunesse.

En France, nous avons actuellement un théâtre changeant son programme deux fois par an, quelques spectacles non réguliers de marionnettes et, environ quatre séances de Cirque, autant qu'il soit prouvé que le spectacle de la piste, tel qu'il est conçu aujourd'hui (il tend à se rapprocher de plus en plus du music-hall) réponde encore aux aspirations enfantines.

La race des clowns se perd et si elle est encore représentée dans chaque composition de programme, il nous faut malheureusement constater que la place des Augustes diminue de saisons en saisons. Or, pour les gosses, le cirque, c'est avant tout : Les Clowns.

Pourtant ne chicanons point et admettons que, Théâtre de Marionnettes et Cirque réunis offrent à nos petits dix après-midi récréatifs par an .... Avouons que c'est fort peu et qu'un problème important se pose : LE SPECTACLE POUR ENFANTS.

Dans notre monde moderne où l'enfant comme l'adulte a le droit de bénéficier des  découvertes de son siècle, est né un art nouveau, un spectacle neuf, aux ressources exceptionnelles, aussi bien dans sa forme que par ses moyens extraordinaires de diffusion : LE CINEMA.

Le Cinéma, d'abord Images, puis Images et Son, et enfin Images, Sons et Couleurs, contient si elles sont judicieusement utilisées, toutes les possibilités de création d'un spectacle complet pour enfants.

Pour ces êtres jeunes, aux sens particulièrement en éveil, à l'imagination fertile, ce magnifique moyen d'expression qu'est le film peut être, mêmes sous son aspect purement récréatif, un élément important d'éducation.

Mais, d'autre part, et en dehors de toutes considérations politiques ou religieuses, il est indiscutablement prouvé que s'il n'a pas été spécialement produit pour l'enfant, le film risque d'être, par sa puissance d'expression même, un grand danger. L'esprit de l'enfant  déforme et transforme dans des proportions insoupçonnables certaines images ou situations, et ses réactions sont totalement différentes de celles des adultes.

Le problème du Cinéma d'enfants a déjà retenu l'attention de plusieurs pays étrangers. L'U.R.S.S. possède actuellement dans chaque ville une salle pour enfants ; une grande quantité de films spécialement produits pour la jeunesse y est distribuée.

L'ANGLETERRE de son côté, a entrepris depuis environ dix-huit mois, une production de cet ordre et dès à présent une cinquantaine de films(longs et courts métrages) peuvent être utilisés.

La France, jusqu'ici, n'a bénéficié que de l'initiative privée : de deux femmes, Madame Sonika BO et Madame Lahy Hollebecque, qui, depuis de longues années, se sont attachées à l'Enfance au Cinéma.

Malgré les difficultés énormes auxquelles elles se sont heurtées, elles ont accompli une œuvre riche d'enseignements et c'est au travers de leur travail, de leurs observations et de leur expérience, que des bases solides peuvent s'établir pour une organisation future.

Madame Sonika BO fondait en 1932, le " CLUB CENDRILLON " réservé aux enfants de six à douze ans. Malgré la pauvreté des moyens causée par le manque de films, elle réussissait à force d'opiniâtre persévérance, à constituer ses programmes et à donner quatre séances par semaine.

De 1940 à 1945 elle interrompit son action pour la reprendre avec encore plus d'acharnement au lendemain de la Libération. Actuellement, chaque Jeudi et Dimanche, elle présente, dans la salle toujours comble du Musée de l'Homme, des programmes choisis pour ses petits amis. En outre, elle se déplace dans les quartiers de Paris pour les enfants des écoles, et en province. Lyon, Lille, La Corrèze, La Dordogne et la Côte d'Azur ont déjà reçu sa visite.

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Madame SONIKA BO parmi les enfants du Club Cendrillon

 

Le succès extraordinaire de ses projections (qui ne bénéficient jamais de publicité) démontre l'indispensable nécessité de ces séances.

Chacun de ces programmes est rigoureusement dosé. Elle affirme que les enfants de six à dix ans ne supportent pas les films de long métrage qui demandent une attention soutenue et dont l'intrigue trop longue les fatigue. C'est comme si (dit-elle) vous donnez à lire d'un seul trait un livre de deux cents pages à un enfant de huit ans.

Madame Lahy Hollebecque de son côté dirige son action vers les enfants de dix à quinze ans. Assistée de quelques amis bénévoles, elle fonde en  1936 l'Association "CINE JEUNES" organisme de diffusion et d'organisation cinématographique pour enfants.

Jusqu'à ce jour, grâce à ses efforts et à son infatigable activité, elle a pu donner un nombre important de séances à Paris, Banlieue et Province.

Pour les programmes que je dois projeter aux enfants de cet âge, dit-elle, il est nécessaire d'avoir en première partie un documentaire et un comique, puis en seconde partie, un film romancé d'une heure à une heure quinze au maximum.

Pour le documentaire et le comique, la solution est relativement facile, mais les films de seconde partie me font totalement défaut, à part quelques productions étrangères que je peux louer comme "Capitaine Courageux" ou le Petit Lord Font Leroy", il n'y a rien.

Madame Lahy Hollebecque fait observer d'autre part que les enfants, entre dix et quinze ans, ne supportent pas le sous-titrage.

Souhaitons, pour terminer, que de rapides réalisations se manifestent dans ce domaine pour que les Enfants de France bénéficient bientôt d'un cinéma à leur dimension.

                                                          Charles DAUTRICOURT

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Il est intéressant de constater qu'aujourd'hui soit soixante ans plus tard la plus grande partie de ces propos soient toujours d'actualité. Bien sur les choses ont changées et évoluées, malheureusement pas toujours dans le bon sens car si les moyens mis à la disposition des jeunes sont source d'un progrès non contestable, la finalité par contre l'est d'avantage.

"L'esprit de l'enfant  déforme et transforme dans des proportions insoupçonnables certaines images ou situations, et ses réactions sont totalement différentes de celles des adultes."

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